Sociologie des mondes agricoles

Module de pré-spécialisation de l’INP-ENSAT

Objectifs

Cette unité d’enseignement de l’INP-ENSAT interroge dans une perspective sociologique, ce qu’il convient aujourd’hui d’appeler les mondes agricoles. La compréhension de la singularité et des paradoxes qui caractérisent la place des mondes agricoles dans la société française constitue un des axes de cet enseignement. Il s’agit de mieux saisir les bouleversements démographique et sociaux liés à leur entrée en minorité, les évolutions des formes d’exercice des métiers de l’agriculture mais aussi l’éclatement des revenus et des modes de vie.

Elle porte également sur les modes d’actions et de représentations des agriculteurs. Parce que les agriculteurs français demeurent une force politique et sociale qui s’exprime à travers un socle de valeurs repérable, l’étude de leurs comportements syndicaux et politiques, de leurs opinions sont des thèmes également abordés. Enfin, cet enseignement revient sur la manière avec laquelle la question paysanne s’est posée à travers l’histoire ainsi que sur les débats auxquels elle a donné lieu autour de l’opposition ville-campagnes, du village comme société paysanne  et de la « renaissance rurale ». Il propose une relecture des « classiques », en cherchant à repérer les différentes façons de penser la question paysanne et agricole chez les pères fondateurs de la sociologie elle-même.

Si ce module est consacré à l’acquisition de connaissances théoriques, conceptuelles et historiques en sociologie des mondes agricoles, il s’appuie également sur un enseignement technique et méthodologique (ateliers technique d’enquête, d’écriture, webdocumentaire) ainsi que sur des travaux d’enquête reposant sur des entretiens biographiques menés auprès d’agriculteurs.

Organisation des séances

Le cours comprend :

– Des séances consacrées à un enseignement magistral articulé autour de quatre modules et de conférences-débats avec des chercheurs et enseignants-chercheurs.

Des séances organisées autour d’ateliers techniques

Atelier techniques d’enquête  animé par François Purseigle : construction de la problématique, rédaction du guide d’entretien, apports méthodologiques, initiation à l’observation directe (journal de terrain) et à l’entretien biographique

Atelier d’écriture-Photos animé par Hélène Bustos, Journaliste, Rédactrice en chef de Transrural initiatives. L’objet de cet atelier est de se familiariser avec les notions de base de l’écriture journalistique (angle, message essentiel, genre…) et de se préparer aux enquêtes dans la perspective de réalisation de portraits pour un web-doc.

Atelier web-documentaire animé par Pierre Vincenot, Journaliste à la Dépêche du Midi. Dans cet atelier, les étudiants apprennent à mettre en forme leur problématique et leur enquête de terrain de manière multimédia et interactive. Sensibilisation à la complémentarité du son, de l’écrit, de la photo et de la vidéo.

– Des journées consacrées à une enquête sociologique de terrain

Par groupe de 3 à 4 étudiants, les étudiants  réalisent des entretiens auprès d’agriculteurs et de donner à voir les résultats sous la forme d’un Web-documentaire. L’enquête repose sur des entretiens semi-directifs et des observations de terrain sur trois journées.

 

Découvrez l’équipe pédagogique par ici. 

Engagement, s’engager, engagé(e)…

Le nom masculin « engagement » apparaît dès la fin du XIIe siècle pour désigner « l’action de mettre quelque chose en gage ». (1) Ce sens premier d’engagement sera au fil des époques enrichi par les liens qui sous-tendent l’action d’engager. L’engagement renvoie à « l’action de lier (quelqu’un) ou se lier par » un contrat, une convention, une promesse dont la signature constitue la preuve. Ainsi l’engagement impliquera progressivement un sens à l’action voire une obligation (on est tenu par un engagement,  on s’engage à…). L’engagement marital donne ici un sens à la liaison amoureuse. Dans l’armée, l’engagement est synonyme du service que le citoyen accomplit durant une période déterminée.

Par la suite, ce nom désignera « le fait d’entrer dans un espace ou passage étroit » (fin du XVIIème), puis dans une acception plus large, il renverra à « l’entrée dans une action ».

Toutefois, ce n’est qu’à partir du XXème  siècle, que ce sens va prendre la dimension qui nous intéresse.

L’entrée dans l’action pourra être déclinée dans ses dimensions socio-politiques. Dès lors, l’engagement sera identifié à « une participation active, par une option conforme à ses convictions profondes, à la vie sociale, politique, religieuse ou intellectuelle de son temps « . (2) Cette participation est susceptible de concerner tous les domaines de la vie des individus, ces domaines étant largement fonction des situations sociales vécues par les uns et par les autres, des opportunités que nous offre chaque situation sociale de nous mobiliser.

Pour le philosophe Jean Ladrière, cette participation peut prendre le sens de « conduite » ou d’ »acte de décision ». (3)

Comme « conduite », l’engagement correspond à « un type d’attitude qui consiste à assumer activement une situation, un état de choses, une entreprise, une action en cours. Elle s’oppose aux attitudes de retrait, d’indifférence, de non participation. Elle doit, bien entendu, se traduire par des actes, mais, en tant que conduite, elle ne s’identifie à aucun acte particulier, elle est plutôt un style d’existence, une façon de se rapporter aux évènements, aux autres, à soi-même. »

L’ « engagement-conduite » s’articule autour de trois composantes qui sont « l’implication », « la responsabilité » et « le rapport à l’avenir ».

L’ »implication » renvoie à l’inscription active de celui qui s’engage dans un mouvement né de la multitude des destinées qui le composent. En ce sens, l’engagé est celui qui noue son destin à celui des autres. Il est celui qui inscrit son avenir dans une « trame » collective à laquelle il accepte de se lier. Toutefois, cette trame est plus ou moins étendue et plus ou moins contraignante. On peut d’ailleurs l’accepter en en contestant certains aspects. Ainsi, chez les jeunes agriculteurs, la modernisation s’inscrit dans des structures d’exploitation qui restent familiales, mais avec l’exigence de nouveaux rapports au sein du groupe familial. Nous touchons ici, l’une des limites de la définition philosophique de l’engagement.

Le principe de « responsabilité » fait de l’engagé un héritier d’une situation qu’il se doit d’assumer quand bien même il n’en serait pas à l’origine. Pour le philosophe, être engagé, c’est reprendre à « son compte un cours d’action qui s’était jusque-là déroulé » sans nous et attester que l’on se « considère responsable de ce qui se passe ». (4)

Si l’engagé assume le passé collectif, il n’en demeure pas moins tourné vers un avenir qu’il anticipe. L’engagement fait de l’individu un acteur du possible qui dépasse les contingences historiques qu’on lui impose.

Comme « acte », l’engagement « n’est autre que la décision en tant qu’elle concerne l’être même de celui qui décide ». Toute décision affecte celui qui la prend, même si elle porte sur des choses ; se décider, c’est se lier soi-même, se modifier conformément à un certain projet . Mais on ne peut véritablement parler d’engagement que lorsque l’objet même de la décision est celui qui décide, soit par une partie de lui-même, soit par tout lui-même ».

Contrairement à l’engagement-conduite qui s’impose à l’individu, l’engagement-acte repose quant à lui sur une décision qui, si elle a des conséquences collectives, n’en demeure pas moins personnelle.  Il s’agit pour l’individu d’une « mise en jeu » partielle ou totale qui peut s’opérer dans de multiples directions.

Ainsi peut-on s’engager dans une profession (il s’agit ici de l’entrée dans une profession et du choix qu’elle implique), à l’égard d’une personne, d’une organisation qu’elle soit de type associatif, syndical ou politique.

L’entrée dans une organisation adopte une portée instrumentale variable en raison des buts qui sous-tendent son fonctionnement. En effet, l’ « acte » d’entrée dans l’action (le caractère tautologique de cette expression nous semble ici significatif) revêt un caractère plus ou moins global d’une organisation à l’autre. Si l’entrée dans un parti politique est très souvent synonyme d’adhésion à un projet idéologique voire doctrinaire qui dépasse le cadre du groupe d’appartenance, il n’en va pas de même pour l’entrée dans certaines associations dont les activités du membre se limitent très souvent aux termes d’un contrat. Mais il s’agit alors quel que soit le type d’organisation d’accepter les risques et l’indétermination qui caractérisent l’acte d’engagement.

C’est très souvent à partir de cette approche bipolaire que s’est construit le sens commun donné à l’engagement. Un sens qui renvoie dans sa construction à la catégorie à qui il était initialement destiné : les élites intellectuelles.

L’engagement, un substantif longtemps réservé à des élites

L’usage du substantif « engagement » reste, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, réservé essentiellement à une catégorie que l’on nomme l’élite intellectuelle ou notabiliaire. L’ouvrier ou le paysan qui participe activement à la vie sociale et politique est rarement qualifié d’engagé. Au demeurant, rares sont les acteurs professionnels qui désignent de la sorte les actions qu’ils mènent, soit sur leurs lieux de travail, soit dans leurs associations, syndicats et coopératives.

A l’instar de nombreux historiens, nous pouvons admettre que la notion d’engagement, dans l’acception qui nous intéresse ici, est une invention du 20ème siècle créée « par et pour des intellectuels ». (5)

Antoine Prost souligne que l’emploi « moderne » de cette notion remonte aux années 30 avec les textes de Nizan et de Karl Barth qui inscrivent « l’engagement dans l’idée chrétienne d’incarnation ». (6) Aux définitions militaires ou maritales, pour ne citer que celles-ci, succède une définition qui renvoie aux prises de position de l’intellectuel pour une « cause ». De nombreux épisodes du début du vingtième siècle témoignent des engagements dont les intellectuels furent les acteurs. Ces derniers rompent du même coup avec les interventions « rares » et exceptionnelles qui caractérisaient les prises de position des siècles passés comme celle de Voltaire dans l’affaire Calas ou d’Hugo face au coup d’état napoléonien et, bien sûr, celle de Zola dans l’affaire Dreyfus. (7) Au-delà d’une intervention pour une cause qui se limite dans le temps, nombreux sont les intellectuels qui vont combattre aux côtés notamment de la classe ouvrière. Toutefois, comme le remarque Michelle Perrot, l’engagement de l’intellectuel puise ses fondements dans l’altérité. L’engagement  est le fait de l’autre, il ne saurait être approprié par celui qui appartient à la « classe » qui est censée être défendue. Il s’apparente alors à un choix individuel et non collectif.

Pendant très longtemps, l’usage du substantif engagement définira moins un « acte de solidarité envers les siens » qu’une « affirmation de soi ». L’engagement ne pouvait alors se confondre avec le militantisme. L’intellectuel s’engageait alors que l’ouvrier militait.

Si cette dichotomie sémantique a pris tout son sens pour l’action collective ouvrière, elle devait aussi dans la première moitié du vingtième siècle trouver sa pertinence pour l’action professionnelle agricole. En effet, l’entrée dans l’espace professionnel agricole pouvait être assimilée, jusqu’au sortir de la seconde guerre mondiale, à l’affirmation des catégories notabiliaires (bourgeois rural, noblesse). Il semblait alors difficile de parler de paysans « engagés » en raison d’un processus d’entrée dans l’action collective qui échappait à leur contrôle tant dans sa définition que dans ses objectifs. L’engagement n’était pas le fait du paysan, il était le fait de l’autre, le notable. Ici encore, l’action professionnelle ne se définissait que dans l’altérité. Cette réalité sociale et professionnelle à présent révolue a, durant de nombreuses décennies, conduit certains chercheurs à penser que les agriculteurs étaient dans l’incapacité d’être les propres acteurs de l’engagement professionnel agricole.

A travers ce webdocu nous souhaitons rompre avec une telle représentation en proposant une approche différenciée et processuelle de l’engagement.

Références bibliographiques

(1) Le Robert, 1993, p.692-693.

(2) Trésor de la langue française. Dictionnaire de la langue du XIXe et du XX siècle, CNRS , Tome 7, Paul IMBS (dir.), p.1107-1110.

(3) Jean LADRIERE , « L’engagement » dans Encyclopédia Universalis, p.368-372.

(4) L’usage par le sociologue de la notion de responsabilité telle qu’elle est définie par les philosophes soulève un débat qu’il convient de souligner comme le précise Michel PERONI dans son article intitulé « Engagement public et exposition de la personne : l’acteur, le spectateur et l’auteur » dans Jacques ION et Michel PERONI (dir.), Engagement public et exposition de la personne, Edition de l’Aube, Collection Monde en cours, p. 249-265 , 270p.

(5) Joël MICHEL, « Le syndicalisme un horizon sans grandeur ? » dans Les engagements du 20ème siècle, Vingtième siècle, Paris, Presses de sciences po, 1998, p. 32 , 168p.

(6) Antoine PROST, « Changer le siècle » dans Les engagements du 20ème siècle, Op. cit. p.15, 168p.

(7) Michelle PERROT,  » La cause du peuple » dans Les engagements du 20ème siècle, Op. cit., p. 6, 168p.

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