Jean-Michel Aubian

Agriculteur le jour, pompier la nuit

 

Mercredi 11 mai 2016. Il est 9h. Jean-Michel Aubian, agriculteur et pompier volontaire engagé dans la caserne de Masseube, dans le Gers, s’est mis en indisponible pour nous accueillir : en  cas d’alerte, il ne sera pas contacté par le Centre Opérationnel Départamental d’Incendie et de Secours (CODIS), qui gère les casernes départementales. Ce système de « gestion dynamique », mis en place il y a deux ans, lui permet de répartir au mieux son temps entre agriculture et engagement comme pompier. Ainsi, Jean-Michel programme chaque semaine les plages horaires au cours desquelles il pourra être contacté, ce qui lui permet d’organiser sereinement ses rendez-vous professionnels le reste du temps.

Jean-Michel est entré l’exploitation familiale en 1980 à l’âge de 16 ans, comme aide familial. Il travaillera en individuel en 1986 puis avec ses parents au sein d’un GAEC avant de constituer une EARL avec son épouse, en 1997. Jean-Michel tenait à « faire évoluer l’exploitation », et a pour cela développé les grandes cultures : maïs irrigué principalement, mais aussi blé, colza, soja et tournesol. De plus, il a progressivement abandonné l’atelier de vaches laitières et la culture du tabac au profit d’un atelier d’élevage de canards futurs reproducteurs en hors-sol.

« On s’engage dans quelque chose, auprès de la société, dans la société. »

Le téléphone est un véritable outil d’organisation pour Jean-Michel, qui s’en sert pour ajuster ses plages de disponibilité.

Jean-Michel est entré l’exploitation familiale en 1980 à l’âge de 16 ans, comme aide familial. Il travaillera en individuel en 1986 puis avec ses parents au sein d’un GAEC avant de constituer une EARL avec son épouse, en 1997. Jean-Michel tenait à « faire évoluer l’exploitation », et a pour cela développé les grandes cultures : maïs irrigué principalement, mais aussi blé, colza, soja et tournesol. De plus, il a progressivement abandonné l’atelier de vaches laitières et la culture du tabac au profit d’un atelier d’élevage de canards futurs reproducteurs en hors-sol.

L’atelier et l’exploitation de Jean-Michel. Sur la toiture sont installés des panneaux solaires depuis 2011.

1964

Naissance

1980

Aide familial et entrée dans la caserne

1986

Installation

1990

Président de l’amicale des sapeurs-pompiers

1997

Passage en EARL avec son épouse

Il n’est pas le seul à Masseube à pratiquer la polyculture-élevage. En effet, dans ce village rural de 1600 habitants, les 12 agriculteurs font beaucoup de grandes cultures et élèvent bovins, viande ou volailles. En plus des activités économiques et notamment touristiques que la commune a su développer, Masseube héberge une nouvelle caserne de pompiers depuis 1982. Un critère pour s’engager, au-delà de la motivation nécessaire : il faut habiter à moins de 5 minutes de cette caserne pour pouvoir être rapidement sur place en cas d’alerte. Les sapeurs-pompiers volontaires qui s’y impliquent sont donc essentiellement des Massylvains (habitants de Masseube). Parmi eux : Albert, le père de Jean-Michel.

Ainsi, en plus de la cotte de fermier, Jean-Michel a hérité de son père l’uniforme de pompier. 

Il n’est pas le seul à endosser les deux tenues à Masseube : il y a de nombreux agriculteurs parmi la trentaine d’engagés. Jean-Michel est entré à la caserne en 1980 : à la fin de ses études, en même temps qu’un groupe d’amis rencontrés au cours de repas festifs organisés par l’amicale des sapeurs-pompiers.

« C’est là qu’on côtoyait tous les pompiers, c’était là qu’il y avait beaucoup de copains déjà rentrés, d’autres qui allaient y rentrer, donc c’était par connaissance, on se connaissait tous très bien ».

Cette amicale, il l’a présidée pendant dix-sept ans. Il voulait cultiver la convivialité de la caserne en proposant des festivités aux familles des pompiers : à Noël, l’été, et bien sûr pour la fête des pompiers, la Sainte Barbe ! C’était aussi une façon pour lui d’impliquer Patricia, sa femme, dans la vie de la caserne, et aussi de la remercier de le soutenir quotidiennement dans son engagement. Il y a des coups durs quand on est pompier : « Des fois on fait des accidents, c’est un peu plus fort (…) il faut évacuer tout ça. »

A travers son écoute, il trouve en sa femme un fort soutien psychologique. Elle l’épaule également en acceptant ses absences et le caractère imprévisible des activités de pompier volontaire. Ainsi, il lui est reconnaissant pour toutes les fois où elle le remplace pour les travaux d’élevage et lorsqu’elle a dû s’occuper seule de leurs 3 filles. « On se lève parfois  en pleine nuit, on s’en va, le matin on n’est pas là et il faut lever les enfants, s’occuper de l’exploitation, si je ne suis pas rentré d’une intervention car quand on part, on ne sait jamais quand est-ce qu’on va rentrer. (…) Ca peut être 30 minutes comme ça peut être 4 ou 5 heures d’affilée. L’épouse elle est là pour compenser un petit peu notre absence et c’est pour ça, on l’en remercie énormément. »

Jean-Michel nous présente la fiche d’intervention détaillant le type d’intervention, la date, le lieu, le nom du chef d’agréés et des pompiers volontaires mobilisés…

Jean-Michel nous présente la fiche d’intervention détaillant le type d’intervention, la date, le lieu, le nom du chef d’agréés et des pompiers volontaires mobilisés…

Grâce à cet appui, Jean-Michel n’a jamais cessé d’être pompier volontaire : depuis 1980 , il reconduit chaque fois son contrat d’engagé d’une durée de cinq ans. « Etre pompier volontaire c’est un état d’âme, quand on rentre là … c’est les copains, c’est des interventions de temps en temps, et on est là pour donner, pour faire le mieux de nous-mêmes… porter secours. »

Les interventions peuvent être très variées : de l’extinction de feux (bâtiment, maison, cheminée, voiture, matériel agricole, végétaux) à l’assèchement en passant par les accidents de la route, les accidents du travail, les désincarcérations, le secours à la personne, la dépollution et le sauvetage d’animaux !

Quelles pourraient être les raisons initiales de votre engagement ? Au tout début, qu’est-ce qui vous a poussé?

Quand les motivations du pompier et de l’agriculteur se mêlent…

Depuis ses débuts comme pompier volontaire, Jean-Michel s’enthousiasme à l’idée de secourir, d’aider les autres, et ce, avec des amis. « On y rentre par connaissance, parce que le copain y est, puis ça me plaisait d’être pompier volontaire, de donner de soi pour aller porter secours à des personnes, éteindre des feux. Donner de soi pour se rendre utile auprès d’une population. » Avec le sentiment d’utilité vient la fierté de porter l’uniforme.

Peu à peu, d’autres motivations sont apparues, poussant Jean-Michel à toujours plus s’impliquer dans son engagement. « Ca permet d’avoir une évolution, de ne pas être tout le temps sur son exploitation, au travail, et puis ça fait une diversité, on va voir autre chose, on rencontre des artisans, des commerçants, des fonctionnaires…  diverses populations, divers métiers, et donc on discute ensemble et ça permet de s’ouvrir l’esprit ». Ainsi, en lui permettant de rompre avec de l’isolement des champs et de s’ouvrir aux autres, l’engagement est une façon pour Jean-Michel de nouer des liens sociaux. 

De plus, il entretient d’autres relations grâce à la chasse, un de ses loisirs préféré.

 

Jean-Michel aime aller chasser les cailles, les perdrix et les faisans avec sa chienne Hyona, le week-end et l’hiver. C’est l’occasion pour lui de s’aérer, se sortir un temps de ses responsabilités professionnelles et « de rencontrer, toujours ».

Chose plus surprenante s’il en est, son activité de pompier lui aura également permis de trouver un associé. Thierry Furcatte, agriculteur voisin et également engagé comme pompier volontaire, s’est en effet rapproché de Jean-Michel au cours de formations à la caserne. « Il ne nous serait jamais venu à l’idée de travailler ensemble sinon. » Tous deux ont regroupé depuis 2003 la conduite de leurs ateliers grandes cultures, totalisant une surface de 240 hectares. Ainsi, ils ont vendu ce qu’ils avaient en doublon pour pouvoir acheter du matériel plus performant en copropriété (59% des parts sont à Jean-Michel, et 41% à Thierry). Ils se sont également répartis la gestion des étapes des itinéraires techniques, ce qui leur a permis de se spécialiser et d’acquérir selon eux une meilleure technicité. A Thierry la gestion des engrais, et à Jean-Michel la réalisation du semis !

La caserne reste un lieu privilégié où ils peuvent même poursuivre les échanges relatifs à leur travail : « Quand on se voyait aux manœuvres, aux interventions, on se demandait : « Où tu en es des semis ? Moi j’ai fini, moi il me reste ça » ».

C’est également à la caserne que Jean-Michel peut appréhender certain attentes et orienter ensuite la conduite de son exploitation.

« Quand on est impliqué un petit peu dans toutes ces associations, d’écouter, d’être en contact avec différents genres de métiers (…), on voit quelles sont les attentes des personnes que l’on fréquente. » Il est convaincu que la demande sociétale oriente le métier d’agriculteur et qu’il est indispensable de bien la suivre voire de l’anticiper pour assurer notamment des débouchés à ses productions. Pour cela, une règle d’or :«  Il faut s’informer, s’adapter, toujours se tenir au courant. »

Peut-être pourrait-on ajouter « défendre le métier » à cette règle. En effet, si à travers son engagement Jean-Michel s’informe, il communique également. Partant du constat que l’agriculture conventionnelle ne bénéficie pas toujours d’une bonne image auprès des consommateurs, il essaye d’en expliquer le « valeurs ». Dans son uniforme de « gentil pompier », il se dit plus crédible pour essayer de communiquer à propos des contraintes de son métier d’agriculteur.

Jean-Michel va plus loin dans ses efforts d’information sur son métier puisqu’il est président cantonal de la FDSEA. « Il faut défendre notre profession », ce qu’il fait notamment lors de manifestations. Cet engagement syndical lui permet par ailleurs de rester informé des évolutions de la politique agricole.

Un agriculteur attentif aux opportunités pour toujours évoluer

Pourquoi cet engagement plutôt qu’un autre ? ça signifie quoi être pompier pour vous?

Que ce soit dans son activité de pompier volontaire ou dans son métier d’agriculteur, Jean-Michel accorde beaucoup d’importance à la formation et à l’innovation. Il s’agit pour lui de toujours chercher à s’améliorer : « Il ne faut pas se reposer sur ses lauriers mais continuer d’apprendre et de se remettre en question puisqu’il y a toujours des nouveautés qui arrivent. » Ainsi, à la caserne, en plus des 38 heures annuelles de formations obligatoires (les « manœuvres »), il a suivi de nombreux stages. Une implication qui lui a permis d’atteindre le grade de sergent.

 

La salle de réunion de la caserne, dans laquelle ont lieu les manœuvres et les 3 ans de stages nécessaires pour devenir sapeur-pompier volontaire. On y apprend les premiers secours et le savoir-être au cours des interventions.

 

 

 

 

 

 

 

Sur son exploitation, en partenariat avec la coopérative agricole Vivadour, il participe au programme de recherche Maiséo relatif à la gestion de l’irrigation. Afin de définir puis de sélectionner les variétés de colza les plus adaptées à son terroir, il travaille également avec un institut technique. Ces démarches lui permettent de « prendre un petit peu d’avance et de l’entretenir » dans la conduite de son exploitation. L’évolution est donc partout et il convient de la suivre.

« Quand on parle d’évolution au niveau des pompiers, en milieu professionnel c’est la même. (…) Je produis toujours la même chose, l’activité est toujours la même. Chez les pompiers, c’est secourir, éteindre des feux, mais le matériel évolue. Et dans l’agriculture c’est la même chose. Ce qui fait qu’il y a un lien entre le fait d’être pompier et mon métier également. Quelque part, inconsciemment, ça me fait évoluer aussi en tant qu’agriculteur. »

L’organisation : entre les champs et la caserne 

Mener de front la conduite de son exploitation, sa vie familiale et les interventions comme pompier volontaire suppose une certaine organisation. Celle-ci n’a pas toujours été la même : Jean-Michel était davantage disponible à la caserne à ses débuts, quand son père pouvait le relayer. Depuis son décès, Jean-Michel est seul pour gérer les travaux des champs et sa disponibilité d’engagé reste tributaire de sa charge de travail de producteur. Son engagement de pompier volontaire est fortement lié à la saisonnalité des activités agricoles. Ainsi, il lui est plus difficile de se libérer au printemps et en été, alors qu’il faut traiter, irriguer, etc. De plus, comme la plupart des agriculteurs, son emploi du temps est également dicté par les aléas météorologiques. Face à ces contraintes, Jean-Michel a su trouver une parade : agriculteur le jour, pompier la nuit !

Grâce à cette solution, il soulage aussi les autres pompiers volontaires qui se rendent disponibles le jour : c’est « l’esprit d’équipe ».

« [Avant le décès de mon père], quand je quittais l’exploitation pour intervenir, il compensait. Depus je suis beaucoup moins disponible, alors je fais l’effort d’être a disposition la nuit. Ceux qui interviennent le jour sont ainsi beaucoup plus tranquilles la nuit. C’est un esprit d’équipe. »

Cet esprit, il y tient beaucoup. Difficile pourtant, pour un agriculteur, de se voir s’intégrer dans une hiérarchie et d’admettre des règles qui ne sont pas les siennes. « Quand on est chez nous, agriculteurs, on est responsables de nous-mêmes (…) Après quand on est dans un groupe, il y a une hiérarchie à respecter. » Mais c’est le prix à payer pour évoluer avec les autres : être encadré par les chefs, puis, lorsque vient l’expérience, encadrer les nouvelles recrues. « Le jeune est encadré par des anciens, et ensuite celui-ci apprend à son tour aux autres. C’est la roue qui tourne. »

Au terme de cet entretien pourriez-vous nous dire ce que signifie pour vous l’engagement ?

L’équipe est au cœur de l’engagement

«Ceci est le grade de sergent. Il est présent sur toutes les tenues. Le type de grade permet d’informer les personnes extérieures sur rôle et les responsabilités de chaque sapeur-pompier.»

L’esprit d’équipe l’emporte sur la hiérarchie. Jean-Michel apprécie le travail au sein d’une équipe qui le stimule, avec qui il partage des choses. Son rôle de pompier lui fait découvrir la nécessité de manager. « Quand on est dans un groupe, il faut un consentement, amener les gens avec soi, c’est complètement différent. C’est du management. (…) On cherche la confiance et on en rend. »

S’il n’a pas hésité à prendre des responsabilités depuis qu’il a l’uniforme de pompier, il fait attention  également à impliquer les autres : « Il ne faut pas tout prendre non plus, il faut donner aussi. C’est des échanges. (…) Après il faut qu’ils prennent des responsabilités aussi, qu’ils s’engagent. » Il prend particulièrement soin de préparer les jeunes, de les « mettre en place », car il compte mettre un terme à son engagement de pompier en 2020, après quarante ans de service.

Ces quarante ans lui auront permis « d’offrir à la société » et aussi d’atteindre un autre objectif : sensibiliser ses filles à l’engagement. Jean-Michel espère que par son action de pompier, il leur a donné envie de « rendre service et être tout le temps en contact avec les gens ». Et qu’elles « suivront ce chemin ». 

Nombre de Français continuent de percevoir le monde agricole comme figé. Ce préjugé ne tient pas longtemps face à Jean-Michel, qui s’anime en parlant d’évolution et pour qui l’agriculteur de 2016 doit échanger et sortir de son exploitation pour mieux s’ouvrir aux autres ! Finalement, son engagement comme pompier le sert dance cette volonté de partage et de confrontation à d’autres professions. Jean-Michel fait de cet engagement un tremplin pour affirmer la figure de l’agriculteur, défendre des valeurs mais aussi présenter un modèle. De fait, de la même façon que les agriculteurs cherchent traditionnellement à perpétuer l’attachement familial à leur exploitation, il espère transmettre à ses filles le sens de l’engagement.

La voie de l’engagement !

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